Le long des voies du CPR (62)

LE LONG DES VOIES DU CPR (no 62)
Par Pierre L. Charron (Veuillez noter que les photos ne sont pas incluses).
LE « TERMINAL » DE MONTRÉAL DE 1963 À 1967 (IXX)
La périphérie nord

Officiellement, selon l’indicateur des employés de 1967, la division du Terminal de Montréal se terminait au nord à Jacques-Cartier Jonction.  Mais pour les besoins de cet article, nous décrirons le réseau de la périphérie nord à partir d’un point plus au sud, à savoir la jonction Breslay. Tel qu’expliqué dans les articles précédents, celle-ci se situait dans l’angle nord-est du triage Outremont et correspondait à la jonction de la subdivision Park Avenue en provenance de place Viger et de la subdivision Adirondack, en provenance du sud-ouest (triage Saint-Luc et de la gare Windsor). Vraisemblablement pour des raisons historiques, la subdivision Adirondack se terminait à Breslay, tandis que la subdivision Park Avenue se rendait jusqu’à Sainte-Thérèse ; cette dernière subdivision était alors à double voie munie du cantonnement automatique sur toute sa longueur. (Voir la carte ci-contre, extraite de la feuille au 1/20,000 « Montréal-Nord » du gouvernement du Québec).
Jusqu’à la fermeture de la gare Viger en 1951, Breslay était une zone d’enclenchement, avec sa propre tour de contrôle ; elle était fort achalandée puisque la majorité des trains de voyageurs de la division Laurentienne (Québec, Hull et Mont-Laurier) avaient leur port d’attache à la gare Viger. Le transfert de ces trains à la gare Windsor amena la simplification de la jonction et le démantèlement de l’enclenchement. Dans les années 60, il ne restait plus qu’une seule voie en provenance du Mile End, raccordée par un aiguillage manuel ; elle servait essentiellement au mouvement de certains « transferts », ainsi que de locomotives de manœuvre desservant les nombreuses industries du secteur.

La gare Jean-Talon (Park Avenue Station)
    Un long article, voire un livre, pourrait être écrit sur cette gare monumentale inaugurée par le célèbre maire Camilien Houde en 1931 dans le nouveau quartier de « Parc Extension ». En effet, dans les années 20, la progression de l’urbanisation avait amené le prolongement de l’avenue du Parc, en anglais Park Avenue, jusqu’à la rue Jean-Talon. Comme la façade de la nouvelle gare se trouvait sur la rue Jean-Talon à l’endroit précis où venait se terminer l’avenue du Parc, il en résulta le curieux phénomène de son appellation différente en français et en anglais : gare Jean-Talon, Park Avenue Station.
    Sa façade à colonnades et son intérieur somptueux de style Art déco en faisaient à la fois un symbole de la prospérité du Canadien Pacifique et un joyau de l’architecture « moderne » de l’époque. On peut supposer que si les travaux n’avaient pas été commencés avant 1929, la grande crise économique aurait forcé le CP à reporter ou à annuler le projet. (Voir photos anciennes et récentes tirées d’internet à la dernière page de cet article).
    Une de ses caractéristiques était son très long quai central et couvert situé entre les deux voies, auquel les voyageurs accédaient par un tunnel à l’éclairage tamisé et dont les murs étaient percés de niches publicitaires. L’ensemble comprenait aussi un vaste stationnement, une belle pelouse et des platebandes de fleurs bien entretenues,  des voies de garage, ainsi qu’une chaufferie dont la très haute cheminée dominait le paysage.
La gare Jean-Talon abritait aussi les bureaux administratifs à la fois de la division du Terminal et de la division Laurentienne : surintendants, assistants-surintendants, superviseurs du trafic du Terminal, contrôleurs de la circulation ferroviaire de la division Laurentienne, sans oublier tout le personnel de soutien. Ces bureaux étaient situés sur une vaste mezzanine surplombant la salle d’attente principale. Les voitures de fonction des officiers étaient placées sur les voies de garage près de la chaufferie, prêtes à être attelées à un train sur un simple coup de téléphone.
La gare a été fermée en 1983 lorsque VIA Rail a transféré à la gare Centrale, via la jonction Jacques-Cartier, les derniers trains de voyageurs en service sur la rive nord. Devenue propriété de la Ville de Montréal, elle n’en a pas moins indirectement retrouvé des fonctions de transports : l’entrée de la station « Parc » de la ligne No 5 du Métro a été aménagée du côté ouest, tandis que l’AMT a construit les quais de sa station « Parc » à l’arrière. Quant à l’intérieur de l’édifice, il a abrité divers commerces, dont une succursale de la SAQ jusqu’en 2010. L’édifice a été complètement restauré et ses abords ont bénéficié d’un nouvel aménagement paysager.

Jacques-Cartier Jonction et le Fruit Terminal
    De la gare Jean-Talon jusqu’au boulevard Métropolitain (aujourd’hui l’autoroute 40), les voies sont bordées à l’ouest par des quartiers d’habitation et à l’est par le parc Jarry, puis par de vastes entrepôts, dont celui d’Hydro-Québec qui était à l’époque desservi par un embranchement privé. Au nord du « Métropolitain », s’étendait alors du côté ouest le très vaste et tout nouveau Marché central métropolitain ; sa partie nord, en bordure des voies surélevées du CN, était occupée par la demi-douzaine de voies de déchargement du Montreal Fruit Terminal, auquel le CN et le CP accédaient à partir de la Jonction Jacques-Cartier.
C’était là qu’arrivaient par wagons frigorifiques tous les fruits et légumes importés du sud des États-Unis. Le CN et le CP y avaient chacun un bureau sous la direction d’un chef de gare, dont la principale fonction consistait à traiter les innombrables réclamations pour les cargaisons partiellement ou totalement défraîchies : pas étonnant que les compagnies de chemin de fer nord-…

…américaines n’ont pas pleuré lorsque ce trafic a été accaparé par les camions suite à la construction du réseau d’autoroutes Interstate.
    La jonction Jacques-Cartier était fort ancienne, ayant été construite par le Grand Tronc à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, pour se raccorder au CP à partir de Lachine (Ballantyne), sur sa voie principale Montréal/Toronto. Initialement, la jonction se trouvait passablement plus au nord ; elle fut ramenée plus au sud et reconfigurée lorsque le CN construisit sa subdivision Saint-Laurent vers Pointe-aux-Trembles au début des années 40. Elle fut reconfigurée une nouvelle fois lors de l’aménagement du Fruit Terminal. Tel que précédemment mentionné, VIA Rail l’a utilisée quelques années pour permettre aux autorails Montréal/Québec d’accéder à la gare Centrale.
Elle est aujourd’hui complètement démantelée, comme les voies du Fruit Terminal d’ailleurs : seul subsiste le pont d’étagement au-dessus du boulevard de l’Acadie, immédiatement au nord de celui de la subdivision Saint-Laurent. Par contre, l’activité ferroviaire n’en est pas moins très intense dans le secteur, grâce à deux gares de l’AMT : Chabanel sur la ligne du CP et Ahuntsic sur la ligne du CN, cette dernière étant plus à l’ouest que l’ancienne gare du même nom du CN.

Bordeaux et Laval-des-Rapides
De Jacques-Cartier Jonction, les voies filaient jusqu’au pont de la rivière des Prairies. La gare de Bordeaux se situait juste avant le pont, à l’intersection du boulevard Gouin. Quelques voyageurs montaient ou descendaient des trains à cet endroit, mais le chef de gare n’en chômait pas pour autant : cette gare était un très important centre d’expédition de colis par Express (messageries) pour le compte de petites entreprises du nord de la ville. Comme l’Express était une filiale du CP distincte des autres activités ferroviaires, le chef de gare recevait une commission proportionnelle au volume manutentionné, en compensation du fastidieux travail d’établir la tarification et de faire la documentation nécessaire. Inutile de dire que c’était un poste très convoité par les télégraphistes disposant d’une bonne ancienneté, mais encore assez jeunes pour se taper de dures journées de travail.
    Tel qu’expliqué dans des articles précédents, le pont n’avait jamais été doublé de sorte que la double voie y était remplacée par une voie en interposition (gauntlet track) protégée par des signaux contrôlés par le CCF de Park Avenue. Immédiatement au nord du pont, à l’intersection du boulevard des Prairies, se trouvait la gare de Laval-des-Rapides, en fait un simple abri situé du côté ouest pour le bénéfice des voyageurs prenant le train de banlieue en provenance de Sainte-Thérèse en direction de Montréal. En sens contraire, les voyageurs descendaient sur un quai non abrité et s’en allaient directement chez eux.
Depuis lors, la gare de Bordeaux et l’abri de Laval-des-Rapides ont été rasés. Par contre, l’AMT a construit la très importante gare Bois-de-Boulogne, à l’intersection du boulevard Henri-Bourassa.

Saint-Martin Jonction
Au cœur de Laval, à l’époque presque en rase campagne, se trouvait la modeste gare de Saint-Martin Jonction. C’est là que la subdivision Trois-Rivières divergeait vers l’est en direction de Québec. Située en territoire de CA, cette jonction n’était pas enclenchée et c’était la tâche des opérateurs télégraphistes, en poste 24 heures par jour, de tourner les aiguillages manuels ; ceux-ci étaient reliés à des signaux sur mâts.
En fait la jonction était fort simple : un aiguillage sur la voie direction nord et une liaison avec la voie en direction sud ; une « patte » vers le nord pouvait faire office de triangle de virage, tandis que quelques courtes voies de garage servaient surtout au matériel d’entretien de la voie. La présence du chemin de fer avait néanmoins attiré un certain nombre d’industries tout autour.
Toujours utilisée par les Chemins de fer Québec-Gatineau, cette jonction est toujours active, mais j’ignore comment elle est contrôlée. Pour sa part, l’AMT a construit deux nouvelles gares dans la moitié sud de l’île : Concorde, à l’intersection du boulevard du même nom, ainsi que Saint-Martin (maintenant renommée Vimont), à l’intersection du boulevard Saint-Martin, un peu au sud de l’ancienne gare du CP.

Sainte-Rose et Rosemère
    Après Saint-Martin Jonction, la double voie de la subdivision Park Avenue filait jusqu’au pont, double dans ce cas, de la rivière des Mille-Iles, où se trouvait la gare de Sainte-Rose. La venue du chemin de fer avait très tôt favorisé la construction de maisons de banlieue en bordure de la rivière, à distance de marche de la gare. Le même phénomène s’était passé de l’autre côté du pont, amenant la création de Rosemère, desservie par un abri.
    Répondant aux besoins modernes du park & ride, l’AMT a préféré construire la nouvelle gare de Sainte-Rose à l’intersection du boulevard Sainte-Rose, dotée d’un vaste stationnement incitatif. Par ailleurs, elle a construit une nouvelle gare à Rosemère, près ou sur le site de l’ancien abri.
Notons qu’avec la disparition du trafic voyageur dans les années quatre-vingt, le CP avait démantelé la deuxième voie entre Saint-Martin Jonction et Sainte-Thérèse. L’AMT procède présentement à sa reconstruction sur une partie du parcours, compte tenu de l’achalandage sans cesse croissant de la ligne de Saint-Jérôme. C’est vraiment un cas de retour vers le futur sachant qu’en 1914, il y avait plus de 20 trains de voyageurs par sens sur le tronçon Montréal/Sainte-Thérèse.

Sainte-Thérèse
    Dans sa série d’articles sur la ligne Montréal/Mont-Laurier, M. Robert Gagnon parle abondamment de la gare de Sainte-Thérèse et de son histoire (voir revue TRAQ, no 94, p.42 à 44). Nous nous limiterons donc ici aux aspects opérationnels.
    Sainte-Thérèse marquait la fin de la subdivision Park Avenue et sa séparation entre d’une part la subdivision Lachute vers Hull (aujourd’hui la division ouest des CFQG) et d’autre part, la subdivision Sainte-Agathe vers Mont-Laurier. C’était aussi la fin du cantonnement automatique, ces deux subdivisions à voie simple étant régies par ordres de marche seulement. La jonction proprement dite était similaire à celle de Saint-Martin, mais comme elle se situait assez loin à l’ouest de la gare, le maniement des aiguillages tombait sous la responsabilité d’aiguilleurs au sol (switchtenders), bénéficiant d’un petit abri chauffé. Là aussi les aiguillages étaient reliés à des signaux sur mâts, avec signaux d’approche sur chacune des deux subdivisions.
Le « visage ferroviaire » de Sainte-Thérèse changea radicalement de 1963 à 2002 avec la présence de l’usine d’assemblage d’automobiles GM de Boisbriand.  Son appétit en pièces provenant d’une foule de sous-traitants avait requis la construction d’un triage dédié où des locomotives de manœuvre amenaient les wagons aux diverses portes correspondant aux sous-chaînes d’assemblage (châssis, moteurs, pièces de carrosserie, etc.). Une partie de la production partait aussi par train.
    Cette usine a été fermée en 2002 et a été démolie en 2004, mais l’activité ferroviaire n’en demeure pas moins très présente et très visible à Sainte-Thérèse avec l’importante gare intermodale (bus/train) qu’y a construite l’AMT.

De Saint-Martin Jonction à Terrebonne
    Au sortir de la jonction en courbe raide, la subdivision Trois-Rivières, à voie simple avec CA, filait droit vers l’est au pied d’un escarpement, jusqu’à la gare de Saint-Vincent-de-Paul située juste à côté du vieux pénitencier. Par deux grandes courbes successives, elle obliquait ensuite vers le nord pour traverser la rivière des Mille-Îles  par un long pont à travées multiples. La gare de Terrebonne se trouvait juste de l’autre côté en retrait de la rue Saint-Louis. Aussitôt après, la voie se tournait vers l’est, en direction de Trois-Rivières et de Québec.
Je me souviens aussi qu’il y avait dans les années cinquante un abri portant le nom de « Cap-Saint-Martin » juste à l’ouest du viaduc du boulevard des Laurentides ; d’ailleurs la rue en bordure de la voie à cet endroit s’appelle toujours « rue de la Station » ; mais il n’est fait aucune mention de cette « gare » dans l’indicateur de 1967 ; par contre, elle apparaît dans l’indicateur public de 1958 sous le nom « Le Cap ». De plus, apparaît aussi dans ce même indicateur une gare nommée « Saint-Martin » située moins d’un mille au sud de celle de Saint-Martin Jonction, donc à peu près au niveau du boulevard Saint-Martin, site de l’actuelle gare de l’AMT.
Mis à part les gares et le cantonnement automatique, tout est encore en place et constitue la division est des Chemins de fer Québec-Gatineau. À Mascouche, l’AMT a aménagé le terminus du Train de l’Est juste à côté des CFQG. Ce qui a changé le plus dans le paysage, c’est la construction de l’autoroute Laval (440) qui suit en gros l’itinéraire de la subdivision Trois-Rivières et la longe même de très prêt en certains endroits.
Photo ancienne, gare Jean-Talon ; à droite, on aperçoit le quai central et au fond, la cheminée de la chaufferie.
Photo récente de la gare Jean-Talon montrant la façade à colonnades entièrement nettoyée et rénovée.
Photo récente, sous un autre angle de la même gare.

 

Auteur: 
Pierre L. Charron
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