Transport de marchandises en Gaspésie

La Gaspésie sur la bonne voie
 
PAR GILLES GAGNÉ
La société du chemin de fer de la Gaspésie connaît une forte croissance de son achalandage depuis 2015. Le nombre de wagonnées a presque triplé en quatre ans, et cette croissance se poursuivra au cours des prochaines années.
En fait, cette croissance devrait même s’accélérer dès que la voie ferrée Matapédia- Gaspé redeviendra praticable jusqu’à Port- Daniel et ensuite sur toute sa longueur. L’axe Caplan-Gaspé, qui représente 60 %
du réseau, est en dormance depuis 2015 même si c’est de là que la croissance provient.
De 1,624 wagonnées en 2015, le total est passé à environ 4,300  en 2018, une donnée encore préliminaire. Les marchandises transportées se sont considérablement diversifiées de 2015  à 2018, grâce à l’ajout des pales éoliennes de LM Wind Power à Gaspé depuis décembre 2016, et du ciment de Ciment McInnis depuis juillet 2017.
En 2015, le bois et les copeaux de la scierie de Temrex à Nouvelle représen- taient environ 95 % du trafic de la Société du chemin de fer de la Gaspésie (SCFG). En 2018, environ 1,800  wagons de pales et
1 000  wagons de ciment s’ajoutent aux produits forestiers.
« On prévoit encore de la croissance en 2019. La cimenterie de Port-Daniel n’a pas encore atteint sa production maximale. La partie de production qui est transportée par rail, même si elle reste la même, va déboucher sur un plus grand tonnage. Le projet d’agrandissement des séchoirs à Temrex fera augmenter le volume de bois exporté aux États-Unis par rail. La scierie de Saint-Elzéar devrait aussi débuter ses expéditions en 2019 », précise Luc Lévesque, directeur général de la SCFG.
Il prévoit aussi qu’à partir du moment où le chemin de fer sera praticable entre Caplan et Port-Daniel, la SCFG sera mieux placée pour  mettre dans des wagons une plus grande partie de la production présentement confiée au camionnage.
« Il y a des chargements qui restent sur des camions une fois qu’ils se retrouvent dans les remorques.
Le transbordement  dans des wagons a un coût  et il anéantit parfois le bénéfice du chemin de fer, sur des distances plus courtes », explique M. Lévesque.
La mise en dormance du chemin de fer entre Caplan et Gaspé a été décrétée par l’ex-ministre québécois des Transports, Robert Poëti, d’abord en mars 2015 pour  l’axe Caplan-Percé, puis en septembre 2015 pour  Percé-Gaspé.
La première décision a été annoncée lors de l’achat pour  3,9 millions $ du tronçon Matapédia-Gaspé
par son ministère, alors que la SCFG, une entité municipale créée pour  sauver le tronçon en 1996 et en 2007, éprouvait des difficultés financières. La décision du ministre Poëti s’appuyait sur l’absence de clients à l’est de Caplan. Pourtant, la construction de la cimenterie de Port-Daniel avait débuté dix mois plus tôt. Aucune cimenterie d’envergure ne se passe de chemin de fer en Amérique du Nord.
La signature en octobre 2016 d’une entente pour  le transport de la plupart des pales produites par LM Wind Power a généré le premier grand bond de trac pour la SCFG. L’entente initiale d’un an prévoyait l’acheminement de 600 pales sur 900  wagons à raison de 13 trains de 72 wagons en un an, avec un premier train d’essai le 3 décembre 2016.
« Au début, c’était un train par mois, mais à compter de la fin du printemps 2017, c’est passé à deux trains par mois », poursuit Luc Lévesque.
L’expansion de l’usine LM à partir de novembre 2016 afin d’augmenter sa production de 50 %, pour atteindre 1,200 pales par an à l’été suivant, et la transformation de l’entente initiale en entente exclusive, expliquent le fait que la SCFG a terminé l’année 2017 avec 1,150 wagons  de pales, plutôt que 900.
Le transport  de ciment, amorcé  au cours de l’été de la même  année, a généré 111 wagons.
BEAUCOUP  DE TRANSBORDEMENT
Pour  arriver aux installations de la SCFG à New Richmond, les pales et le ciment doivent transiter par camion. Le transport d’une seule pale nécessite quatre ou cinq véhicules, dont  trois ou quatre d’escorte, incluant une auto de la Sûreté du Québec. Au début, il fallait deux autos de police.
Les pales sont ensuite transférées à l’aide de grues sur les wagons. L’usine de LM Wind Power n’étant pas située sur le bord  du chemin de fer à Gaspé, il faudrait quand même placer les pales sur un camion, mais sur une distance que quatre ou cinq kilomètres, et non  235  comme c’est le cas présente- ment. Le transport routier entre Gaspé et New Richmond coûte quelques millions de dollars par an à LM ou à ses clients. Une
pale ne pèse que sept tonnes environ, mais elles mesurent de 42 à 46 mètres selon le modèle. Les wagons plats à bord  desquels elles sont chargées mesurent 28 mètres.
Le cas de Ciment McInnis est un peu différent, mais la logistique reste complexe en attendant que le service ferroviaire soit rétabli à Port-Daniel.
La SCFG a aménagé un silo à New Richmond lors du printemps 2017. Des camions chargent donc  le ciment à l’usine de Port-Daniel et le transvident dans le silo. Jusqu’en novembre 2017, cette façon de fonctionner a été acceptée par Transports Québec, jusqu’à ce qu’un rapport portant sur les deux ponts de Cascapédia-Saint-Jules, deux structures dont  la construction remonte aux années 1890, soit interprété de telle sorte qu’un nombre maximal hebdomadaire de dix wagons chargés à 95 tonnes étaient autorisés à passer sur les ponts, par semaine.
Comme les besoins de Ciment McInnis sont passés de dix à près de 40 wagons par semaine, il a fallu trouver une solution pour  composer temporairement avec la contrainte des deux ponts.
La SCFG a donc  fait bâtir au cours du printemps 2018  un second terminal de transbordement, à Nouvelle cette fois. C’est un système sans silo, avec simple- ment un équipement de pompage qui fait passer le ciment du camion directement dans le wagon.
Ainsi, depuis juin, les wagons de ciment sont chargés aux deux tiers à New Richmond et au tiers à Nouvelle, qui est situé à l’ouest des ponts de Cascapédia/Saint-Jules. Transports Québec a pris à sa charge l’aménagement des deux terminaux temporaires, et les frais de transport excédentaires que leur exploitation nécessite. La limite de dix wagons par semaine ne tient plus pour  des wagons chargés aux deux tiers.
 
UN JOUEUR ÉCONOMIQUE DE PREMIER PLAN
L’augmentation du trafic ferroviaire de marchandises et les tâches d’entretien revenant à la SCFG ont eu un impact majeur sur son personnel.
« Nous avons 30 employés maintenant ; on en avait sept il y a trois ans. Il faudra embaucher encore en 2019 », signale Luc Lévesque.
La SCFG dessert  aussi plusieurs des grands employeurs privés de la Gaspésie. L’usine de LM Wind Power de Gaspé emploie 485  personnes, et sa production est entièrement exportée au sud des États-Unis, principalement au Texas. Ciment McInnis compte 153 employés, en comp- tant la sous-traitance, alors que
Temrex en embauche près de 120  en usine et 80 autres en sous-traitance.
Rail GD, un atelier de réparations de matériel roulant, emploie une trentaine de personnes. Elle n’existerait manifestement pas sans le chemin de fer. La firme a signé en octobre le plus important contrat de ses huit ans d’histoire en obtenant un mandat de 16,4 millions $ pour la réfection de quatre voitures restaurants de VIA Rail.
L’AUSTÉRITÉ RALENTIT TOUT
Depuis l’intégration par la Société du chemin de fer de la Gaspésie de l’axe Matapédia-Chandler, en juin 2007, des travaux de réfection de la voie ferrée, des ponts notamment, ont eu lieu en continu jusqu’en 2013  inclusivement, en vertu de programmes mis de l’avant par les gouver- nements de Jean Charest et de Pauline Marois.
L’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard en 2014  a tout arrêté en matière de budget de réparations, en raison de sa politique d’aus- térité. Mis à part les sommes investies pour éliminer les créances de la SCFG au prin- temps 2015, et des budgets d’entretien sommaires, il a fallu attendre au 5 mai 2017 avant d’assister à un changement d’attitude du gouvernement québécois. M. Couillard est alors venu annoncer 100 millions $ pour
la réfection du réseau Matapédia-Gaspé, un mandat confié au Bureau québécois des infrastructures. Le programme n’est toutefois pas caractérisé encore par un échéancier.
En septembre 2017, le premier remplacement d’un pont a été effectué, à Ristigouche-Sud-est, un mandat de 1
million$. Depuis l’été 2018, les études et les actions sur l’emprise ferroviaire se sont accélérées.
« Le prochain gros morceau, c’est le remplacement des ponts de Cascapédia-Saint-Jules. Les plans sont
sortis (…) L’appel d’offres pourrait être publié au printemps.
Si tout se déroule de façon optimale, ils pourraient être opérationnels à la fin de 2020. Ça nous donnera accès à la cimenterie directement », note Luc Lévesque, confiant que les quatre autres ponts à réparer entre Caplan et Port-Daniel l’auront été dans deux ans.
Pour le moment, il hésite à prédire une date pour le retour du train à Gaspé, mais il rappelle que bien des
travaux peuvent être menés en même temps que ceux réalisés entre Caplan et Port-Daniel « Il reste potentiellement plusieurs années de transport de pales, et il y a d’autres types de trafic à aller
chercher », souligne M. Lévesque.
VIA RAIL ET L’AMIRAL
Les Gaspésiens sont impatients de regagner leur train de passagers de VIA Rail. Ce transporteur public a
suspendu son service entre Matapédia et Gaspé en deux coups, en décembre 2011 en raison de l’état de
certains ponts à Chandler et vers l’est, puis en septembre 2013, en raison de l’état d’autres ponts, surtout
ceux de Cascapédia–Saint-Jules. En 2011, ce train a transporté 27 991 passagers, plus que les trains de
l’Abitibi et du Saguenay–Lac-Saint-Jean réunis.
Lors d’une visite en Gaspésie en octobre 2018, Yves Desjardins-Siciliano, président de VIA Rail, a indiqué que l’intention du transporteur était de relancer son service dès que le réseau sera sécuritaire, et à condition qu’il
soit réparé jusqu’à Gaspé.
"Le prochain gros morceau, c'est le remplacement des ponts Cascapédia/Saint-Jules. (...) Si tout se déroule de façon optimale, ils pourraient être opérationnels à la fin de 2020".
D’autre part, le train touristique l’Amiral est bloqué à Gaspé depuis 2014, aussi en raison du réseau. Sa locomotive a été transportée en pièces détachées en novembre 2017 pour être remontée à New Richmond. Elle sert depuis février 2018 au transport de fret.
L’Amiral servait surtout au transport de croisiéristes entre Gaspé et Percé, en 2013 et 2014. Gaspé reçoit entre 30 et 40 escales de navires de croisières par an.
POTENTIEL DE CROISSANCE
Au cours des prochains mois, la SCFG compte ajouter 7 000 pieds de voie ferrée pour améliorer son triage à New Richmond.
Avec le concours de coopératives forestières de la région, le transporteur compte mettre sur pied un réseau d’approvisionnement de la cimenterie de Port-Daniel en biomasse forestière, ce qui mènera à l’ajout d’au moins 1 000 wagons par an. D’autres projets sont aussi dans la mire de la SCFG et pourraient porter le nombre total de wagonnées aux environs de 10 000 rapidement, à condition que le réseau soit praticable jusqu’à Gaspé !
Auteur: 
Gilles Gagné
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