Mais comment a-t-on pu construire des chemins de fer à l'époque du régime seigneurial? La question, qui paraît incongrue en apparence, surgit à partir du moment où sont interrogées les modalités d'accès à des positions géographiques. Il faut rappeler que sous le régime seigneurial, le sol ne peut pas être acheté comme aujourd'hui; il pouvait être concédé moyennant notamment le versement de droits annuels. Traverser l'espace seigneurial exigeait donc, pour une compagnie ferroviaire, le versement de droits seigneuriaux sur chaque censive traversée, ce qui aurait été tout simplement prohibitif! Et pourtant, les entrepreneurs vont construire plusieurs chemins de fer, et ce, bien avant l'abolition de ce régime de droit en 1854.
Ce livre montre comment les seigneurs ont été des intermédiaires entre des positions géographiques inaccessibles en droit et des compagnies qui cherchaient à contourner les prescriptions du régime seigneurial pour aménager des chemins de fer. Si la vallée du Saint-Laurent a connu quelques zones franches permettant à l'industrie d'échapper à la féodalité canadienne (le canal Lachine, Saint-Roch, Lévis), les compagnies ferroviaires vont pour leur part négocier directement des ententes ad hoc avec les seigneurs de façon à constituer des emprises libérées de l'essentiel des obligations du régime seigneurial.