LE LONG DES VOIES DU CPR (no 61)
Par Pierre L. Charron (Les photos de ce texte ne sont pas incluses).
LE « TERMINAL » DE MONTRÉAL DE 1963 À 1967 (XVIII)
Vaudreuil et Rigaud
Tel qu’expliqué au tout début de cette série sur le Terminal de Montréal, toutes les lignes du CP dans l’Est du Canada convergeaient vers Montréal. Mais Montréal est une île et qui dit « île » dit « ponts ». Or les ponts coûtent très cher à construire de sorte que leur nombre est nécessairement limité. C’est pourquoi, plusieurs jonctions majeures furent établies à l’extérieur de l’île de Montréal, sur l’île Jésus (Laval) et surtout sur la terre ferme : Saint-Martin Jonction et Sainte-Thérèse du côté nord, Adirondack Jonction et Delson sur la rive sud, Vaudreuil du côté ouest.
Comme nous l’avons fait dans les articles précédents, nous procéderons par « direction », en commençant par la direction ouest, c’est-à-dire Vaudreuil, où la subdivision M&O vers Ottawa se détachait de la subdivision Winchester vers Toronto. Toutefois, avant d’y arriver, nous regarderons brièvement le chapelet de « gares » qui jalonnaient la subdivision Winchester entre Dorval et Vaudreuil, ainsi que la subdivision M&O entre Vaudreuil et Rigaud, en raison de l’intense trafic de banlieue du Lakeshore. Nous parlerons aussi de Rigaud qui, sans être une jonction, n’en était pas moins le terminus d’environ la moitié des trains de banlieue.
De Montréal-Ouest jusqu’à Vaudreuil
L’indicateur public du 30 octobre 1960 liste 15 « gares » intermédiaires entre Montréal-Ouest et Vaudreuil, sur une distance de seulement 19 milles, soit une moyenne d’un peu plus d’un mille entre chacune ! En fait, alors que certaines d’entre elles étaient des gares en bonne et due forme avec un édifice traditionnel et un opérateur-télégraphiste remplissant toutes les tâches habituelles d’un chef de gare, plusieurs autres n’étaient que de simples arrêts, équipés d’un quai et d’un abri sur chacune des deux voies.
Ce rapprochement des arrêts découlait du fait que dans la première moitié du XXe siècle, les résidents des banlieues qui se développaient sur le Lakeshore n’avaient pas d’autos et se rendaient à pied prendre leur train vers le centre-ville. Il faudra attendre la prise en charge des services de banlieue par la STCUM dans les années 1980 (et maintenant par l’AMT) pour connaître une rationalisation nécessaire : on éliminera alors de nombreux arrêts au profit de gares moins nombreuses mais desservies par le transport en commun et pourvues de grands stationnements.
La première photo, datant du milieu des années 50, nous montre des banlieusards grelottant dans la pluie d’un matin d’automne sur le quai de la gare de Valois, comme arrive leur train en direction de Montréal. On remarquera à l’arrière-plan le toit et la cheminée de l’abri du quai sud, la gare proprement dite étant située du côté nord. (Photo d’archives du Canadien Pacifique, in Canadian Pacific’s Montreal Lakeshore Commuter Services, Volume One, de Ronald S. Ritchie, p.17).
La photo suivante, prise à Dorval à la même époque, nous montre un train de banlieue en provenance de Montréal passant à toute vapeur devant la gare de Dorval. En plus de montrer très clairement la disposition de la gare, des quais et de l’abri, cette photo illustre aussi une autre caractéristique des services de banlieue de l’époque, à savoir que chaque train n’arrêtait pas nécessairement à toutes les gares. En effet, le CP avait conçu ses horaires de façon à ce que certains trains desservent prioritairement les clientèles des banlieues les plus éloignées et ne s’arrêtent pas avant Valois, soit à peu près au milieu du trajet entre Montréal-Ouest et Vaudreuil ; à partir de cet endroit, ils faisaient des arrêts alternés, chaque train ne s’arrêtant qu’à toutes les deux gares. (Photo de Robert F. Collins, in Magnetic North, de Roger Cook et Karl Zimmerman, p. 29).
Vaudreuil (RO)
Bien que je n’aie jamais travaillé à la gare de Vaudreuil (aujourd’hui Dorion), je me souviens que son indicatif télégraphique « RO », qu’il soit transmis par télégraphe ou utilisé comme abréviation sur la ligne téléphonique du CCF, était un des plus sollicités. En effet, comme nous l’avons vu dans les deux articles précédents (TRAQ numéros 94 et 95), la direction ouest était celle qui connaissait la plus grande densité de trafic : tous les trains de marchandises vers Toronto et l’Ouest canadien, les trains de voyageurs vers Toronto et Ottawa, sans oublier une dizaine de trains de banlieue dans chaque sens.
Vaudreuil était la jonction entre la subdivision Winchester vers Toronto et la subdivision M&O vers Ottawa, la première étant à double voie avec cantonnement automatique, la seconde à voie simple également avec cantonnement automatique. Les trains y circulaient donc sous l’autorité d’ordres de marche et de feuilles de libération, de sorte que des opérateurs-télégraphistes étaient en poste à « RO » 24 heures par jour, 365 jours par année.
La jonction proprement dite était relativement simple et constituait une zone d’enclenchement commandée par une petite console située dans la gare sur le pupitre de l’opérateur-télégraphiste. La subdivision M&O se détachait de la voie nord de la subdivision Winchester par un aiguillage électrique, tandis qu’une liaison également électrique permettait aux trains arrivant d’Ottawa de traverser sur la voie sud de la subdivision Winchester pour continuer leur route vers Montréal.
Si l’opération de cette console était fort simple et rapide, c’était dans le domaine des ordres de marche et des feuilles de libération que les télégraphistes de Vaudreuil gagnaient vraiment leur paye ! Les intéressés pourront lire l’excellent article de S.J. Smaill, intitulé « Eight Hours at RO » dans le numéro 262 (novembre 1973) de la revue Canadian Rail. En plus d’une description réaliste des tâches accomplies par l’opérateur de nuit, l’article présente plusieurs photos de trains défilant devant la gare de Vaudreuil en hiver. Celle-ci, prise par M. Smaill lui-même en février 1972, montre l’opérateur « délivrant » des ordres au moyen d’un hoop au numéro 1, le Canadian en direction ouest.
De plus, Vaudreuil était le terminus d’environ la moitié des trains de banlieue du Lakeshore qui y passaient la nuit. Il y avait donc un triangle de virage et plusieurs voies de garage ; à l’époque de la vapeur s’ajoutaient les installations et le personnel requis pour maintenir les locomotives sous pression toute la nuit.
De Vaudreuil à Rigaud
On y comptait sept « gares » intermédiaires sur une distance de 17 milles, soit une moyenne d’environ une aux 2.5 milles. Ici encore, il s’agissait pour la plupart de simples arrêts, munis d’un quai et d’un abri. Hudson bénéficiait pour sa part d’une gare traditionnelle qui disposait encore d’un chef de gare en 1967. Trois trains de banlieue se rendaient jusqu’à Rigaud du lundi au vendredi, tandis qu’un quatrième venait tourner à Hudson en milieu de journée. De plus, les trains Montréal/Ottawa effectuaient des arrêts conditionnels à Hudson ; mais pas question pour le Canadian de s’y arrêter : les numéros 1 et 2 ne faisaient aucun arrêt entre Dorval et Ottawa, ce qui leur permettait de relier les deux centres villes en exactement deux heures !
Rigaud
Trois trains de banlieue couchaient donc à Rigaud. En plus de la gare, on y trouvait comme à Vaudreuil des voies de garage et un triangle de virage. Là aussi, à l’époque de la vapeur, on retrouvait toutes les installations et le personnel appropriés, dont un hangar pour deux ou trois locomotives. La dernière photo, prise par Roger Cook en décembre 1959, (op. cit. p.108) nous montre une grosse Pacific de la série 2400 sortant du hangar à l’aube pour prendre charge de son train vers Montréal ; une Royal Hudson, (série 2800), attend son tour, encore bien au chaud.
La situation actuelle
Tel qu’expliqué dans les articles précédents, le trafic de marchandises est toujours très intense sur la subdivision Winchester, mais il n’y a plus de train de voyageurs vers Toronto. Par ailleurs, la subdivision M&O a été abandonnée à l’ouest de Rigaud peu après la création de VIA Rail et le transfert du Canadian à la Gare Centrale du CN ; par la suite, VIA Rail a transféré le port d’attache du Canadian à Toronto.
Par contre, la situation des trains de banlieue s’est grandement améliorée. Dès leur prise en charge par le Gouvernement du Québec via la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal (STCUM) en 1982, on a entrepris un vaste programme de modernisation non seulement du matériel roulant, mais aussi des gares. Tel que précédemment mentionné, on a éliminé plusieurs arrêts, mais ceux qui ont été conservés ont bénéficié de nouveaux quais, d’un éclairage et d’abris modernes, ainsi que de vastes stationnements encourageant les banlieusards vivant loin des gares à venir prendre le train. Le tableau qui suit compare les arrêts figurant dans l’indicateur du CP de 1960 avec ceux apparaissant dans les horaires actuels de l’AMT.
Milles 1960 2014
0.0 Gare Windsor Lucien-l’Allier
2.0 Westmount Vendôme
4.7 Montréal-Ouest Montréal-Ouest
6.1 Sortin
8.1 Grovehill Lachine
9.6 Dorval Dorval
10.7 Pine Beach Pine Beach
11.5 Strathmore
12.0 Valois Valois
12.6 Lakeside
13.6 Cedar Park Cedar Park
14.0 Pointe-Claire Pointe-Claire
15.0 Beaconsfield Beaconsfield
16.9 Beaurepaire Beaurepaire
18.6 Baie d’Urfé Baie d’Urfé
20.4 Sainte-Anne-de-Bellevue Sainte-Anne-de-Bellevue
21.3 Brucy Ile -Perrot
22.9 Ile-Perrot Pincourt
23.7 Vaudreuil Dorion
26.9 Isle Cadieux Vaudreuil
30.0 Como
32.1 Hudson Hudson
32.7 Hudson Heights
34.3 Alstonvale
36.1 Choisy
37.9 Dragon
40.2 Rigaud
Les caractères italiques dénotent des gares qui ont changé de nom et souvent d’emplacement. De plus, le terminus Lucien-L’Allier n’est plus au mille zéro, en raison de la construction du Centre Bell.
Par ailleurs, Vaudreuil a bénéficié de l’aménagement d’installations modernes pour héberger les six ou sept trains de banlieue qui y « couchent » chaque soir. Par contre, dès les débuts de la réorganisation dans les années 80, le service vers Rigaud a été réduit à un seul train par jour dans chaque sens ; plus récemment, son trajet a été limité à Hudson, de sorte que toute activité ferroviaire a cessé à Rigaud.